L'énergie marine représente un immense potentiel pour la production d'électricité renouvelable. Avec plus de 70% de la surface terrestre recouverte par les océans, les ressources énergétiques marines offrent des perspectives prometteuses pour diversifier le mix énergétique et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Des vagues aux courants marins en passant par les gradients thermiques, les océans recèlent de multiples sources d'énergie exploitables. Cependant, le développement des technologies marines fait face à de nombreux défis techniques, économiques et environnementaux. Explorons les différentes filières d'énergies marines, leur potentiel et les enjeux de leur déploiement à grande échelle.
Technologies d'exploitation de l'énergie houlomotrice
L'énergie houlomotrice vise à exploiter la puissance des vagues et de la houle pour produire de l'électricité. Plusieurs technologies ont été développées pour capter cette énergie, chacune adaptée à des conditions marines spécifiques. Les systèmes houlomoteurs peuvent être installés sur le littoral, près des côtes ou en pleine mer. Leur principe repose généralement sur la conversion du mouvement oscillant des vagues en énergie mécanique puis électrique.
Systèmes à colonne d'eau oscillante (OWC) de mutriku
Les systèmes à colonne d'eau oscillante (OWC) figurent parmi les technologies houlomotrices les plus matures. Le principe est simple : une chambre semi-immergée est ouverte à la mer par sa base. Le mouvement des vagues fait monter et descendre le niveau d'eau dans la chambre, comprimant et décomprimant l'air au-dessus. Ce flux d'air est canalisé à travers une turbine qui entraîne un générateur électrique. La centrale de Mutriku au Pays basque espagnol est un exemple réussi de cette technologie, intégrée à une digue portuaire. Avec une puissance de 300 kW, elle alimente en électricité près de 250 foyers depuis 2011.
Convertisseurs à corps flottants de type pelamis
Le Pelamis est un système houlomoteur flottant constitué de segments cylindriques articulés. Long d'environ 150 mètres, il s'oriente naturellement dans la direction des vagues. Le mouvement relatif entre les segments actionne des vérins hydrauliques qui compriment de l'huile. Cette huile sous pression alimente des moteurs hydrauliques couplés à des générateurs électriques. Bien que prometteur, le projet Pelamis a connu des difficultés techniques et financières. Néanmoins, il a ouvert la voie à d'autres concepts de convertisseurs flottants plus compacts et robustes.
Systèmes à déferlement de vagues wave dragon
Le Wave Dragon est un dispositif flottant qui exploite le déferlement des vagues sur une rampe inclinée. L'eau qui franchit la rampe est collectée dans un réservoir surélevé, créant une différence de hauteur avec le niveau de la mer. L'eau est ensuite turbinée pour produire de l'électricité, sur le même principe qu'une centrale hydroélectrique. Ce système est particulièrement adapté aux zones côtières exposées à de fortes houles. Un prototype à l'échelle 1:4,5 a été testé au Danemark, démontrant la faisabilité du concept. Cependant, le déploiement de systèmes à grande échelle reste un défi technique et économique.
Potentiel de l'énergie marémotrice en france
La France dispose d'un important potentiel pour l'exploitation de l'énergie marémotrice, grâce à ses côtes atlantiques soumises à de fortes amplitudes de marées. L'énergie marémotrice présente l'avantage d'être prévisible et régulière, contrairement à d'autres énergies renouvelables intermittentes. Plusieurs sites le long des côtes françaises offrent des conditions favorables pour l'implantation de centrales marémotrices ou d'hydroliennes.
Usine marémotrice de la rance : capacité et fonctionnement
L'usine marémotrice de la Rance, mise en service en 1966, est un pionnier mondial dans l'exploitation de l'énergie des marées. Située en Bretagne, elle exploite le marnage important de l'estuaire de la Rance, qui peut atteindre 13,5 mètres lors des grandes marées. Avec une puissance installée de 240 MW, elle produit en moyenne 500 GWh par an, soit l'équivalent de la consommation d'une ville de 225 000 habitants. L'usine fonctionne sur le principe d'un barrage équipé de 24 turbines bidirectionnelles, capables de produire de l'électricité aussi bien au flux qu'au reflux de la marée.
Projet d'hydroliennes du raz blanchard
Le Raz Blanchard, situé entre le cap de la Hague et l'île anglo-normande d'Aurigny, est considéré comme l'un des sites les plus prometteurs en Europe pour l'exploitation de l'énergie hydrolienne. Avec des courants pouvant atteindre 5 m/s, ce site offre un potentiel estimé à environ 2 GW. Plusieurs projets de fermes hydroliennes y sont à l'étude, notamment le projet Normandie Hydro porté par EDF Renouvelables. Ce dernier prévoit l'installation de 7 hydroliennes d'une puissance unitaire de 2 MW, pour une capacité totale de 14 MW. Les défis techniques liés à l'installation et à la maintenance des hydroliennes dans cet environnement marin difficile restent importants.
Évaluation des sites propices en bretagne et normandie
Outre le Raz Blanchard, d'autres sites en Bretagne et Normandie présentent un potentiel intéressant pour l'exploitation de l'énergie marémotrice. Le passage du Fromveur, entre l'île d'Ouessant et le Finistère, offre des conditions similaires au Raz Blanchard. Le site de Paimpol-Bréhat, au large des Côtes-d'Armor, a déjà accueilli des prototypes d'hydroliennes. Une étude menée par l'ADEME a identifié une vingtaine de sites propices le long des côtes françaises, représentant un potentiel technique exploitable d'environ 3 GW. Cependant, la rentabilité économique et l'impact environnemental de ces projets doivent être soigneusement évalués avant tout déploiement à grande échelle.
Énergie thermique des mers (ETM) dans les DOM-TOM
L'énergie thermique des mers (ETM) exploite la différence de température entre les eaux de surface chaudes et les eaux profondes froides pour produire de l'électricité. Cette technologie est particulièrement adaptée aux régions tropicales et subtropicales, où l'écart de température peut atteindre 20°C sur une profondeur de 1000 mètres. Les départements et territoires d'outre-mer français, situés dans ces zones géographiques, présentent un potentiel important pour le développement de l'ETM.
Prototype NEMO de naval energies à la martinique
Le projet NEMO (New Energy for Martinique and Overseas) est un prototype de centrale ETM flottante développé par Naval Energies en partenariat avec Akuo Energy. Prévu pour être installé au large de la Martinique, ce démonstrateur d'une puissance de 10,7 MW vise à valider la faisabilité technique et économique de l'ETM à l'échelle industrielle. Le système utilise un cycle thermodynamique fermé avec de l'ammoniac comme fluide de travail. L'eau chaude de surface (environ 25°C) vaporise l'ammoniac, qui entraîne une turbine couplée à un alternateur. L'eau froide pompée en profondeur (environ 5°C) condense ensuite le fluide pour boucler le cycle. Bien que prometteur, le projet NEMO fait face à des défis techniques et financiers qui ont retardé sa mise en œuvre.
Potentiel d'exploitation à la réunion et en polynésie française
La Réunion et la Polynésie française présentent également un fort potentiel pour l'exploitation de l'ETM. À La Réunion, des études ont été menées pour évaluer la faisabilité d'une centrale ETM à terre, qui pourrait contribuer à l'autonomie énergétique de l'île. En Polynésie française, l'ETM pourrait offrir une solution durable pour l'approvisionnement en électricité des îles isolées. Un projet de centrale pilote de 5 MW est à l'étude à Tahiti. Outre la production d'électricité, ces installations pourraient avoir des applications complémentaires comme la climatisation (SWAC - Sea Water Air Conditioning) ou le dessalement d'eau de mer.
Défis techniques de l'ETM en milieu tropical
Le développement de l'ETM en milieu tropical fait face à plusieurs défis techniques. La corrosion marine est un problème majeur, nécessitant l'utilisation de matériaux résistants et coûteux. Les conduites d'eau froide, longues de plusieurs kilomètres, doivent résister aux contraintes mécaniques liées aux courants et aux tempêtes tropicales. La biofouling (colonisation par des organismes marins) peut réduire l'efficacité des échangeurs thermiques. De plus, l'impact environnemental du pompage de grandes quantités d'eau profonde doit être soigneusement évalué. Malgré ces défis, l'ETM reste une technologie prometteuse pour les régions tropicales, offrant une production d'énergie stable et prévisible.
Cadre réglementaire et soutien à la filière EMR
Le développement des énergies marines renouvelables (EMR) en France s'inscrit dans un cadre réglementaire et politique visant à soutenir la transition énergétique. Plusieurs mécanismes ont été mis en place pour encourager l'innovation et l'industrialisation de ces technologies émergentes.
Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour les EMR
La Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) fixe les objectifs de développement des différentes filières énergétiques pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028. Pour les EMR, hors éolien en mer, la PPE ne fixe pas d'objectif chiffré en raison du manque de maturité des technologies. Cependant, elle souligne l'importance de soutenir la R&D et les projets pilotes pour préparer le déploiement futur de ces technologies. La PPE prévoit notamment le lancement d'appels à projets pour des fermes pilotes hydroliennes, avec un soutien public conditionné à une baisse des coûts de production.
Mécanismes de soutien : tarifs d'achat et appels d'offres
Pour encourager le développement des EMR, l'État a mis en place plusieurs mécanismes de soutien financier. Les tarifs d'achat garantis permettent aux producteurs de vendre l'électricité issue des EMR à un prix fixe pendant une durée déterminée, généralement 20 ans. Ce système assure une visibilité à long terme pour les investisseurs. Des appels d'offres sont également lancés pour attribuer des zones propices au développement de projets EMR, notamment pour l'éolien en mer. Les lauréats bénéficient d'un contrat de complément de rémunération, qui compense l'écart entre le prix du marché et un tarif de référence.
Rôle de l'ADEME dans le développement des EMR
L'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME) joue un rôle crucial dans le soutien à la filière EMR. Elle pilote des programmes de R&D et finance des projets innovants à travers des appels à projets réguliers. L'ADEME a notamment lancé le Programme d'Investissements d'Avenir (PIA) dédié aux EMR, qui a permis de financer des démonstrateurs et des fermes pilotes. L'agence réalise également des études technico-économiques pour évaluer le potentiel des différentes technologies EMR et identifier les leviers de réduction des coûts. Son expertise contribue à orienter les politiques publiques en faveur du développement des EMR.
Impacts environnementaux des énergies marines
Le développement des énergies marines renouvelables soulève des questions quant à leur impact sur les écosystèmes marins. Bien que ces technologies contribuent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, leur déploiement à grande échelle peut avoir des effets sur la faune, la flore et les habitats marins. Une évaluation rigoureuse de ces impacts est nécessaire pour assurer un développement durable de la filière.
Effets sur la faune marine : cas des parcs éoliens offshore
Les parcs éoliens offshore peuvent avoir des impacts variés sur la faune marine. Pendant la phase de construction, le bruit généré par les travaux peut perturber les mammifères marins et les poissons, entraînant des comportements d'évitement. Les fondations des éoliennes peuvent cependant créer un effet récif , favorisant la biodiversité locale. En phase d'exploitation, le risque de collision pour les oiseaux marins est une préoccupation majeure. Des études menées sur des parcs existants ont montré que certaines espèces modifient leurs trajectoires de vol pour éviter les éoliennes. L'impact sur les migrations des espèces marines reste un sujet de recherche important.
Modifications des courants et de la sédimentation
L'installation de structures en mer, qu'il s'agisse d'hydroliennes ou de fondations d'éoliennes, peut modifier localement les courants marins et les processus de sédimentation. Ces changements peuvent affecter les habitats benthiques et la répartition des espèces. Dans le cas des barrages marémoteurs, l'impact sur l'hydrodynamique de l'estuaire peut être significatif, modifiant les cycles de marée et la salinité. Ces effets doivent être soigneusement modélisés et surveillés pour minimiser les perturbations sur les écosystèmes côtiers.
Méthodologies d'évaluation : étude d'impact de france énergies
Marines a mené une étude approfondie sur les impacts environnementaux des énergies marines renouvelables. Cette étude, intitulée "Caractérisation des impacts des EMR sur les écosystèmes marins", vise à développer des méthodologies standardisées pour évaluer les effets des différentes technologies EMR sur la biodiversité marine. L'approche adoptée combine des observations in situ, des modélisations et des analyses de risques. Les résultats permettent d'identifier les impacts potentiels à court et long terme, ainsi que les mesures d'atténuation appropriées. Cette étude contribue à l'élaboration de protocoles de suivi environnemental adaptés aux spécificités de chaque technologie EMR.
L'évaluation des impacts environnementaux des EMR nécessite une approche intégrée, prenant en compte les effets cumulatifs avec d'autres activités maritimes. La collaboration entre scientifiques, industriels et pouvoirs publics est essentielle pour développer des solutions durables et respectueuses de l'environnement marin. Avec l'augmentation prévue du nombre de projets EMR dans les années à venir, il est crucial de maintenir un équilibre entre le développement de ces énergies renouvelables et la préservation des écosystèmes marins.
En conclusion, les énergies marines renouvelables offrent un potentiel considérable pour la transition énergétique, en particulier pour les pays disposant d'un important littoral comme la France. Les différentes technologies - houlomotrice, marémotrice, hydrolienne et thermique des mers - présentent chacune des avantages et des défis spécifiques. Leur développement nécessite un soutien politique et financier continu, ainsi qu'une approche responsable vis-à-vis de l'environnement marin. Avec les progrès technologiques et la baisse des coûts attendue, les EMR pourraient jouer un rôle significatif dans le mix énergétique futur, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique tout en créant de nouvelles opportunités économiques.